Le sommeil est un besoin physiologique, et on pourrait donc penser que l’on dort aujourd’hui comme autrefois – à ceci près que l’on peut profiter d’un lit bien plus douillet. Et pourtant, la literie n’est pas la seule à avoir évolué : notre façon de dormir a elle aussi énormément changé au cours de l’histoire !
Mythologie et sommeil
Le sommeil fascine depuis toujours – du moins, dès l’Antiquité, on trouve des témoignages écrits des interrogations et croyances qui l’entourent. Chez les Grecs, il est personnifié par Hypnos, fils de Nyx (la nuit), qui est née elle-même du Chaos. Chez les Romains, il s’agit de Somnus, fils de Junon et de Jupiter. Représenté sous les traits d’un jeune homme tenant une fleur de pavot, il vit dans une grotte obscure, traversée par le Léthé, le fleuve de l’oubli.
Hypnos est réputé si puissant que les dieux eux-mêmes le sollicitent, et à la demande d’Héra, il parvient même à endormir Zeus. Le dieu du sommeil est le père de mille enfants, dont le plus célèbre est Morphée, le dieu des rêves. Ce dernier est à l’origine de l’expression « tomber dans les bras de Morphée » signifiant s’endormir, bien sûr, mais aussi du mot « morphine ». Si Hypnos est réputé comme une divinité douce, il n’en demeure pas moins le frère jumeau de Thanatos, dieu de la mort. Il figure sur les tombeaux pour symboliser le sommeil éternel.
Pendant longtemps, dormir n’a pas été de tout repos ! Le sommeil est en effet réputé pour permettre aux morts de communiquer avec les vivants, notamment à travers les rêves. Mais c’est surtout le lien entre mort et sommeil qui inquiète, et au Moyen-Âge, on préfère dormir assis, car la position allongée est associée à celle du corps mort !
Le sommeil au fil de l’histoire
Aujourd’hui, les troubles du sommeil constituent une préoccupation majeure, car ils concernent une majorité des Français. Mais le fait de se réveiller quelques heures pendant la nuit constitue-t-il réellement un signe d’insomnie ? Pas si sûr !
Le sommeil fragmenté : un sommeil naturel ?
L’une des choses les plus surprenantes que nous enseigne l’étude de l’histoire du sommeil, c’est en effet que nos ancêtres pratiquaient naturellement un sommeil dit « fragmenté ». En effet comme le relève l’historien Roger Ekirch dans ses articles repris et développés dans son ouvrage « La grande transformation du sommeil », il est fréquemment fait mention au cours de l’histoire du « premier » et du « deuxième » sommeil. D’ailleurs, nul besoin de consulter des témoignages relevés dans les archives : il en est fait régulièrement mention dans les livres au cours des siècles. Dès l’Antiquité, Virgile ou Tite Live en font mention.
Concrètement, de l’Antiquité au début du 20e siècle, le commun des mortels se couche tôt et dort quelques heures. Nos ancêtres se réveillent quelques heures aux alentours de minuit, puis se rendorment. Certains en profitent pour s’adonner à la méditation ou à la prière – c’est d’ailleurs une obligation dans certains monastères. Lorsque l’on dort en famille dans le même lit, ce qui est très courant, on en profite même pour discuter. De récentes études tendent à démontrer que ce type de sommeil est le plus naturel, et qu’il est naturellement produit par notre horloge biologique. En somme, si vous vous réveillez au beau milieu de la nuit, vous ne souffrez pas forcément d’insomnie.
Du sommeil fragmenté au sommeil consolidé
Chandelles et bougies constituent pendant longtemps le seul éclairage artificiel. Les classes les plus aisées qui y ont accès prennent l’habitude de prolonger leurs soirées. À partir du 16e siècle, il devient courant de se coucher plus tard pour une partie de la bourgeoisie et, surtout, pour l’aristocratie.
C’est toutefois avec la généralisation des lampes à huile ou à gaz et, surtout, avec l’éclairage public que cette habitude s’étend à l’ensemble de la société. En France, Paris est la première à devenir la « Ville Lumière ». Mais au fil du temps, toutes les localités bénéficient d’un éclairage favorisant la sécurité le soir. Et lorsque la révolution industrielle survient, l’époque est à la productivité. La journée est consacrée au travail, et la soirée est le seul moment que l’on peut consacrer aux loisirs : on s’empresse donc de sortir.
Dans la foulée, les habitudes de sommeil changent. On se couche plus tard, mais il reste nécessaire de se lever tôt le matin pour aller travailler. L’idéal à atteindre, c’est donc une nuit de sommeil réparateur constituée de plusieurs heures de sommeil sans interruption : ce que l’on nomme le sommeil consolidé. Pour l’atteindre, on n’hésite plus à faire appel aux somnifères chimiques, qui naissent à l’aube du 20e siècle.
La sieste, cette mal aimée
À la mi-journée, l’activité de l’organisme baisse naturellement, et il est courant de faire la sieste. Cette pratique évoquée dès l’Antiquité va connaitre une évolution très différente d’un pays à l’autre. À partir du Moyen-Âge en Europe, la sieste devient exclusivement réservée aux enfants et aux personnes âgées, ainsi qu’aux malades. Chez les biens portants, elle est peu à peu associée à la paresse. Ce temps de repos est donc mal vu par l’Église.
Au 19e siècle, la révolution industrielle décrédibilise la sieste aussi : on valorise le travail et la productivité. « Le temps, c’est de l’argent ! », et il n’est donc pas question de le perdre à dormir au beau milieu de la journée ! Or, dans le même temps, la durée des nuits raccourcit. Cette évolution tend même à s’aggraver aujourd’hui : dans la majorité des pays industrialisés, la nuit de sommeil moyenne d’un actif est de moins de 7 heures – la durée minimale d’une nuit de sommeil pour être en bonne santé d’après la science.
Au 20e siècle, l’étude du sommeil se développe en effet. Les chercheurs mettent rapidement en avant le lien entre sommeil et santé, mais aussi entre sommeil et productivité. Et ces recherches mettent en exergue les bienfaits de la sieste :
- Booster le niveau de vigilance ;
- Améliorer activités cognitives.
On estime que 15 à 20 minutes suffisent à améliorer le temps d’assimilation des informations, ainsi que les capacités à prendre des décisions et des initiatives. Aujourd’hui, la sieste au travail est d’ailleurs fortement encouragée en Asie, et cette pratique tend à se répandre dans les entreprises occidentales.
L’évolution du lit au fil de l’histoire
Les premiers lits connus datent de l’âge de pierre. Ils sont alors sommaires, se limitant à un emplacement destiné à installer une paillasse en herbe. Dans l’antiquité, la majorité des personnes dort à même le sol. Seuls les plus aisés peuvent se permettre de dormir en hauteur, sur un lit en bois. Chez les Égyptiens, ils se dotent de lanières de cuir ou de jonc tressés qui forment un sommier. Les Romains ont quant à eux différents lits, adaptés à divers usages : dormir, manger ou même étudier, ainsi qu’un lit funéraire, destiné à transporter le corps jusqu’au bûcher.
La chambre : un espace de vie
Au Moyen-Âge en Europe, la maison s’organise principalement autour d’une pièce de vie, dans laquelle on dort. On dispose généralement une simple paillasse sur une sorte d’estrade de bois, et on se couvre d’une couverture. L’aristocratie même n’est pas toujours bien lotie : il n’est pas rare que le roi de France lui-même ne dispose pas d’une chambre fixe, d’autant que la cour passe d’une résidence à l’autre.
Au fil du temps, le lit en bois se généralise dans les classes les plus aisées. Au sein de l’aristocratie, ce meuble devient même un moyen de démontrer sa richesse et sa puissance. Certains lits atteignent des proportions étourdissantes, dépassant les 3 mètres de large. Si les nobles accordent un tel soin au lit, c’est que leur chambre est loin d’être un espace intime tel qu’on le connaît aujourd’hui. C’est une pièce dans laquelle on reçoit.
Le lit à baldaquin se répand au 16e siècle à travers l’Europe. Doté d’un sommier en toile et garni d’un matelas de plumes, il se distingue par les rideaux qui préservent la chaleur. C’est aussi l’occasion d’exhiber des tentures richement brodées.
Jusqu’au 19e siècle, les foyers sont mal chauffés. On voit ainsi apparaître le lit cabane – sorte d’armoire dans laquelle on s’enferme pour dormir. Dans les foyers les plus pauvres, on se contente bien souvent d’un lit placé dans la pièce de vie, où se trouve le feu, et on y dort souvent à plusieurs.
La naissance de la literie moderne
Si la révolution industrielle chamboule le sommeil, elle bouscule aussi l’organisation du foyer. Les maisons sont mieux chauffées, et les logements se structurent avec différentes pièces, chacune ayant sa propre utilisation. La chambre devient un espace intime, que l’on cache désormais au regard. On voit fleurir de nouveaux meubles, spécifiquement destinés à cette pièce.
L’époque est marquée par le courant hygiéniste. Il est recommandé de permettre à l’air de circuler, et de renouveler le linge de lit… deux fois par jour ! Le lit change, et l’on supprime les rideaux. Le bois est courant. Le matelas en plume repose sur un sous-matelas très ferme, garni de crin. Le lit se dote de draps, de couvertures et en hiver d’un édredon. On trouve également des lits en fer, dotés de sommiers à ressorts.
Les pays nordiques garnissent leur lit d’un élément confortable, mais plus facile à vivre que les parures sophistiquées : la couette. En France, elle se popularise à partir des années 1970. Depuis cette époque, l’organisation de la chambre et du lit n’ont guère changé. En revanche, les technologies évoluent pour offrir davantage de confort. Parmi celles qui ont révolutionné l’art de dormir : la mousse viscoélastique à mémoire de forme, utilisée aussi bien dans la conception de matelas que d’oreillers.